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Tous ces mots enfumés....

Tous ces mots enfumés....

Akli Ait Abdallah


Akal...

Publié par Akli Ait Abdallah sur 8 Mars 2013, 13:34pm

AKAL...

En kabyle, Akal c’était la terre. La terre nourricière. Celle qui donnait les figues et les olives, le blé, les pâturages, la lavande et le miel. Elle était indivise et sacrée, elle rassemblait le clan, et proclamait son nom a la face du monde. Ses limites étaient pierre posée, parole donnée.
Je me souviens de Thayougha isgaren, paire de bœufs harnachés pour aller aux labours. Je me souviens de annar, ou l'on battait les blés sous le soleil brûlant.
Je me souviens de la piste caillouteuse qui menait a la tombe de Tsemanou , ma grand-mère. On y parvenait a bout de souffle, a court de salive, tant la pente était raide....
Je me souviens de nos chapeaux de paille, et des pièges laissés a l'ombre des buissons.
Lemdhella . Aqerrac...
Je pourrais continuer ainsi l'exploration de ma boîte a souvenirs pour en extirper d'autres pans d'une enfance peut-être légèrement embellie par la nostalgie. Il y a aussi tout ce que mes yeux d'alors ne pouvaient encore voir. Mais une chose reste vraie a jamais.
Akal c'était la terre. La terre nourricière. L'honneur de la tribu. Son titre de noblesse.

Akal c'est aujourd'hui la bonne affaire.
La pierre qui balisait a cédé son pouvoir a l'expert-géomètre et ses plans de papier.
Akal, ce n'est plus la terre a vivre , mais le terrain a bâtir.
A chacun sa parcelle. A chacun son rêve de puissance sonnante et trébuchante. Au cœur de ce qui se redessine, il reste parfois le vieux puits. Mais autour , en deçà, au delà , il n'y à plus que le béton , les briques, le ciment, et la céramique espagnole.

R+5...C' est la règle par laquelle le paysage se transforme. Rez de chaussée plus cinq étages qui se revendront a prix d'or. La terre, dépecée, se négocie en millions de dinars. L'héritage des ancêtres est devenu commerce. Il faut le morceler pour mieux le négocier. Au plus hargneux la part du lion. Les tribunaux algériens croulent sous les litiges ou s'empoignent le frère avec le frère, le fils avec le père.
La tribu explose. Le clan se désagrège.

Akal, c'est aujourd'hui la guerre qui finit de détruire ce qu'il reste de nos solidarités anciennes.
Les nouvelles passent par des alliances temporaires mais lucratives. J'ai le terrain. Tu as l'argent et les relations nécessaires pour venir a bout d'une administration corrompue et gourmande. Signons au bas de ce parchemin. Et empochons les liasses.

En Algérie , on appelle ça faire de la promotion immobilière.
Et tant pis si dans les premiers terrassements, c'est sa mémoire qu'on enterre. Si dans les premières coulées de béton, c'est son identité qu'on emmure.
La brutalité avec laquelle ces mutations se produisent n'a d'égale que celle dans laquelle d'immenses fortunes se constituent.
C'est connu , seuls les pauvres et les humbles savent partager. Avec ces nouveaux nababs , se profile une communauté du chacun pour sa gueule , et tant pis pour la tienne.
Akal , jadis terre nourricière, est aujourd'hui le cimetière de ce que nous avons été.
Akal , c'est le cadeau empoisonné que nos ancêtres besogneux nous ont légué, comme pour nous punir de nous être désunis. Akal , aujourd'hui,c'est leur malédiction.

(AAA. Tigzirt. Février 2013)

Photo: Sur la ferme de ma grand-mère a Dellys, cet outil centenaire, qui servait a araser Annar, l'aire de battage des blés...

Akal...
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